— Et vous, Imogène, ne donnerez-vous rien pour notre petite princesse ?
Sans lever les yeux, miss McCarthery répliqua sèchement :
— Le traitement généreux que m accorde Sa Gracieuse Majesté pour huit heures de travail par jour ne me permet pas de gaspiller mon argent en cadeau à des souverains étrangers !
Janice, qui connaissait bien le caractère de sa collègue, joua le jeu pour la grande joie des autres :
— Est-ce Sa Majesté EÏisabetn H que vous traitez d'étrangère, Imogène ?
— Ienoreriez-vous, miss Lewis, que sa famille vient du continent ? Au surplus, je ne vois pas pourquoi vous l'appelez Elisabeth II alors qu'il n'y a jamais eu d'Elisabeth Ire?
— Comment ? Mais, et la grande Elisabeth ?
— Je ne connais pas, à moins que vous fassiez allusion à cette abominable garce qui non seulement dépouilla Marie Stuart, mais encore l'assassina ? Moi, je vous le dis, Janice Lewis, il fallait des Anglais pour oser porter sur le trône une pareille créature qui demeure la honte de l'histoire de l'Angleterre.
Le scénario auquel Imogène se laissait prendre à chaque fois était bien réglé. Le bureau entier poussait des cris scandalisés qui avaient pour effet de faire jaillir Aneurin Archtaît de son bureau, demandant :
— Eh bien ! Mesdames, qu'est-ce qu'il se passe ? Il s'en trouvait alors toujours quelqu'une pour révéler que miss McCarthery avait insulté la famille royale, Sa Majesté la Reine et l'Angleterre. Aneurin Archtaft, natif de Milord, dans le Pays de Galles, se montrait absolument imperméable à l'humour et, de plus, colérique. Travailleur acharné, il devait son poste à une application de tous les instants et considérait comme un manquement grave à l'honneur de son devoir de fonctionnaire tout ce qui le distrayait de sa tâche. Parce qu'elle semait le trouble parmi ses compagnes et, de ce fait, nuisait à leur rendement, Archtaît détestait Imogène, dont 0 eût bien voulu se débarrasser. Un dossier incomplet l'ayant rendu de mauvaise humeur, il entendit passer celle-ci sur sa vieille adversaire. Il se dirigea d'un pas décidé vers l'Ecossaise :
— Qu'avez-vous à dire, miss McCarthery ?
— Que je vous serais obligée de me laisser travailler, monsieur Archtaft. Au cas où vous l'ignoreriez, je vous apprends que le gouvernement me paie pour une certaine tâche qui ne consiste pas, comme vous semblez le croire, à faire des discours.
Des rires fusèrent et Archtaft passa un doigt entre son col et son cou, comme si le premier, s'étant brusquement rétréci, l'étranglait.
— Miss McCarthery, j'en ai assez !
— Je ne vous retiens pas, monsieur le chef de bureau !
— Miss McCarthery, je ne tolérerai pas plus longtemps que vous manquiez à votre devoir !
A son tour Imogène prit la mouche et se dressant, furieuse, cria :
— Est-ce que vous vous imagineriez, par hasard, que c'est à un Gallois à demi sauvage de m'indiquer ce qu'est mon devoir ?
Archtaft ne valait rien pour ce genre de joute oratoire. Il ferma les yeux pour murmurer un appel à Dieu, lui demandant de lui donner la force de se contenir pour ne pas frapper son employée. D'une voix crispée, il murmura :
— Miss McCarthery, vous avez de la chance de ne pas être un homme !
— Quand je vous regarde, monsieur Archtaft, j'en suis convaincue !
Janice attendait, malicieusement, que l'atmosphère en fût anivée à son point extrême de tension pour intervenir. Elle s'approchait de miss McCarthery et, lui prenant affectueusement le bras, lui lançait cette prière qu'on entendait à longueur de journée dans ce bureau des services administratifs de l'Amirauté :
— Ne vous fâchez pas, Imogène !
Puis, se tournant vers le chef de bureau, elle disait avec un sourire :
— Je crois qu'il ne s'agit que d'un simple malentendu, Mr Archtaft.